Sciences et techniques / physique et autres sciences |
Avant-Propos
Le découpage du dossier en quatre documents m'a permis de regrouper les textes en ensembles relativement cohérents, tout en m'épargnant les efforts d'enchaînements et le souci d'exhaustivité qu'un ouvrage destiné à publication eût exigé. Par contre chaque document s'efforce de préserver une certaine rigueur historique et logique : identification des sources, explicitation des hypothèses, mise en évidence des schémas déductifs. Les documents ne sont d'ailleurs pas présentés dans l'ordre chronologique de leur rédaction mais s'organisent comme des pièces à conviction dans un procès dont les audiences sont loin d'être closes. Mon objectif initial était d'apporter mon témoignage dans ce procès, d'exhiber aussi des pièces à convictions insuffisemment exploitées, et de contribuer ainsi à un débat méthodologique, technique et même philosophique qui durait en fait depuis les débuts de la théorie et s'était poursuivi depuis lors (avec, cependant, d'assez longues périodes de latence). Ma première publication parut en 1954 et mon travail se poursuivit pendant quelques années pour s'interrompre en 1958, redémarrer en 1965, s'arrêter à nouveau en 1970 et connaître ensuite diverses péripéties. Le modèle non-orthodoxe qu'il proposait fut largement ignoré des physiciens mais redécouvert à parti de 1965 : peu à peu, la contestation (de l'interprétation dite "de Copenhague") gagnait du terrain... * Le premier document
constitue donc l'initialisation naturelle du dossier en esquissant l'histoire
de cette contestation. Les débats sur l’interprétation
des "inégalités de Bell" ont en effet réactivé
la polémique Bohr-Einstein des années 30 et suscité
de nouvelles tentatives "non-orthodoxes". Au moment même
où j'écris ces lignes, le Scientific American consacre
un article à celle de David Bohm, qui précéda de
peu la mienne. Les discussions les plus récentes tournent essentiellement
autour des questions de localité et de séparabilité.
Ces aspects techniques sont importants, mais leur signification ne peut
être appréciée que dans la perspective d'une contestation
déjà ancienne, contestation permanente mais discrète
et qui, contrairement au modèle qu'elle critique, n'a rien d'une
révolution au sens kuhnien. * Le projet que j'élaborai au cours des années cinquante appartient, lui aussi, à l'histoire de la contestation puisqu'il est à l'origine de l'une des tentatives contestataires évoquées dans le document 1. Mais il était évidemment nécessaire d'analyser la genèse et le développement de mon propre point de vue dans un document distinct. C'est l'objet du deuxième document, qui se situe à mi-chemin entre l'autobiographie et l’anthologie. Retraçant les étapes de ma réflexion, il précise le contexte dans lequel elle naquit et rappelle les collaborations qui la rendirent possible, expliquant aussi les périodes de latence. Le corps du document est constitué par la reproduction, augmentée de commentaires, des quelques textes que j'ai publiés jusqu’à ce jour. Un premier groupe marque la naissance de l’électrodynamique stochastique, en 1954, tandis que le second s’achève en 1970 sur un point d’interrogation - qui fut aussi un point d’orgue... J'étais bien conscient de n'avoir pas suffisamment explicité les hypothèses qui sous-tendaient le modèle ni les difficultés qui l'accompagnaient au plan de la technique mathématique et j'étais convaincu qu'un nouvel effort était nécessaire pour élaborer une spécification plus rigoureuse du modèle et l'exploiter. Aussi je m'efforçai, au milieu d'autres activités, de garder le contact avec la littérature afin de combler éventuellement le déficit. A partir de 1989, les circonstances m'ont permis de reprendre le fil de ma recherche et tout d' abord de mettre à jour ma documentation relative aux développements de la Physique mathématique et de la Mathématique appliquée. Dans le même temps, j'observai que la contestation du paradigme officiel avait gagné beaucoup de terrain. J'acquis ainsi la conviction qu'une réactualisation de mon travail pouvait contribuer utilement au débat. * Lorsqu'on analyse les arguments échangés
de part et d'autre depuis presque un siècle (et plus particulièrement
depuis 1927) on ne peut qu'être frappé par le rôle
privilégié joué par les systèmes formels (hamiltonien
ou lagrangien) de la mécanique rationnelle et leurs manipulations.
Par ailleurs, dans tout le domaine des phénomènes de l'échelle
atomique et moléculaire, des raisonnement purement thermodynamiques
peuvent apporter une solution. Au fond le point d'achoppement de bien
des raisonnements se situe à l'interface de plusieurs disciplines.
Cette observation est à l'origine du troisième
document qui se situe ainsi "en amont" des deux précédents,
sur le terrain d’une analyse thématique et structurale de
la Physique, un terrain qui a été bien exploré, au
cours des dernières décennies, par Thomas Kuhn, Gerald Holton,
J.Bernard Cohen et bien d'autres. L'exploration détaillée de telles zones, et en particulier de celles qui se situent aux confins de l'Electrodynamique est particulièrement gratifiant : elle suggère que l'élimination des anomalies n'exige pas nécessairement un abandon du paradigme "classique", mais au contraire une explicitation plus complète et une exploitation plus rigoureuse encore de ses principes. Ce troisième document s'efforce donc de resserrer le débat en le situant essentiellement sur le terrain de la Physique, un terrain plus sûr que celui, souvent ambigu, de la Philosophie; c'est sur ce terrain-là que se déroulèrent d'ailleurs les affrontements "pré-quantiques" évoqués en 1. * Le quatrième et dernier document constitue la raison d'être de ce dossier. Il décrit en effet un modèle véritablement classique - en un sens que le document 3 aura précisé - des processus électrodynamiques à l'échelle atomique et constitue ainsi un aboutissement (partiel) de l'approche adoptée en 1954, dans la mesure il en corrige certaines insuffisances. Le but recherché était, évidemment, de faire l'économie d'une rupture épistémologique qui me semblait dangereuse et stérilisante. Mais ce but ne pourrait être considéré comme atteint que si les phénomènes caractéristiques du domaine quantique étaient complètement et correctement décrits par le modèle ainsi complété, et par conséquent si les difficultés techniques déjà signalées en 2 pouvaient être surmontées ou circonscrites. Certaines de ces difficultés peuvent l'être, mais d'autres subsistent qui engendrent une demande de mathématique spécifique, demande dont ce dernier document aborde aussi l'examen. Dans ma note de 1970, j’avais déjà identifié un obstacle majeur à l’accomplissement du programme, à savoir l'impossibilité d'expliciter les équations de diffusion de la probabilité associées aux processus stochastiques électrodynamiques. Le modèle ne fournissait en effet de solutions explicites que dans le cadre d'une approximation non-relativiste, une linéarisation des équations; et je savais par expérience que ce type d'approximation peut conduire à l'occultation de phénomènes essentiels. Or les recherches récentes pour la modélisation des structures "chaotiques", sous l'impulsion des spécialistes de la météorologie, puis l'analyse des situations de "hasard déterministe" que l'on rencontre partout en physico-chimie des états condensés, ont engendré un développement considérable de la dynamique non-linéaire, tant au plan de l'analyse qu'à celui des techniques de calcul. Il m'est alors apparu qu'au moins l'un des obstacles rencontrés pouvait être réduit en exploitant ces techniques nouvelles. Il devenait alors nécessaire d'étudier les conditions de leur mise en œuvre pour une spécification mathématique plus rigoureuse et une possible validation du modèle et c'est sur une telle vision "prospective" que s'achève le document.
Une limitation essentielle de l'entreprise est qu'elle se situe délibérément en dehors des efforts actuels pour élaborer des «Théories de Tout» ou de «Grande Unification», puisque le projet limite son ambition à l'analyse d'un niveau précis de l’échelle des structures de la matière, celui des systèmes atomiques et moléculaires (quoique certains aspects touchent au domaine cosmologique). Mais les théories "fondamentales" qui dominent aujourd'hui (particules "élémentaires", trous noirs, etc...) où Gell-Man, Hawking, Salam, Weinberg, et d'autres se sont récemment illustrés utilisent de façon essentielle le formalisme quantique sous l'un de ses aspects (Schrödinger, Dirac, Klein-Gordon,Feynmann) et ses propriétés de variance ou d'invariance sous divers groupes de transformations (Lorentz, symmétrie, jauge). Il est donc très probable qu'une remise en cause du modèle sous-jacent doit avoir des répercussion dans un domaine auquel Abraham Pais donne justement le qualificatif d'inward bound. Etudier ces répercussions serait une entreprise évidemment haute en couleurs et pourtant non dépourvue de charme, mais dont je ne pourrais être que le témoin! * J'ai voulu souligner les points cruciaux de mon argumentation en encadrant les énoncés qui la supportent et en les accompagnant d'icônes appropriées que le traîtement de texte me fournissait obligeamment : I accompagne une observation
qui sera utilisée à nouveau dans la suite * On verra dans ce qui suit que Christophe Tzara a joué un rôle essentiel à la naissance même du projet. A plusieurs reprises Maurice Surdin est intervenu pour encourager mon effort et y apporter sa contribution. Plus récemment Jacques Roubaud m’a fermement invité à "passer aux actes", c'est-à-dire à rédiger le présent dossier. Qu’ils en soient tous trois remerciés.
|
Sciences et techniques / physique et autres sciences |
Paul Braffort © 2002 |