Les Arts et les Lettres / Critique et analyses |
autrement série mutations, N° 158 - octobre 1995 - Dirigé par Monique Sicard Chercheurs ou
artistes? Entre art et science, ils rêvent le monde
Ce numéro d'autrement, très soigné comme toutes les publications de la revue, est proposé dans la série mutations, titre particulièrement justifié puisque le problème des rapports entre art et science (un sujet qui intéresse Alliage au premier chef) semble être plus actuel que jamais. Il s'agit ici d'entretiens sur le thème du "fossé" entre les disciplines (C.P. Snow parlait d'un "rideau de fer"), entretiens qui s'organisent ainsi : - La création artistique à l'épreuve de la tentation scientifique
: Quand les scientifiques se disent créateurs... Dans son introduction, Monique Sicard déclare :
Mais plus loin elle ajoute :
Un peu plus loin, elle précise :
Suivent alors des entretiens qui illustrent - sur des registres divers - les allers-et-retours entre les deux domaines de création. Le plus souvent, il s'agit des apports que les progrès scientifiques et techniques donnent aux artistes ou seulement des inspirations nouvelles qu'ils lui fournissent. Plusieurs contributions insistent, comme cela était inévitable, sur le rôle des nouvelles technologies du traitement de l'information, mais on aurait pu évoquer aussi le rôle de la chimie et de l'optique dans l'évolution de la peinture, celui du traité de Helmoltz sur l'évolution de la musique et même de la poésie (avec l'instrumentation verbale de René Ghil). On aurait pu citer aussi, à propos des rapports entre la littérature et la mathématique (trop peu représentées, dans cet ouvrage), l'ouvre d'autres oulipiens que Perec : Queneau et Roubaud, notamment, et surtout Qui a tué le duc de Densmore?, de Claude Berge, une nouvelle policière où la solution de l'énigme dépend d'un théorème difficile de la théorie des graphes! A plusieurs reprises, les intervenants mettent en garde contre l'utilisation abusive de correspondances qui ne sont que métaphoriques : c'est le cas, en particulier, de Jean Eisenstaedt qui critique la correspondance que croit discerner Paul Laporte entre le cubisme de Picasso et la relativité d'Einstein (relativité et quanta - et plus récemment chaos - sont bien souvent sollicités par des enthousiastes insuffisemment informés!) Quelques exemples sont donnés d'une insémination réciproque (de la science par l'art). Un bon exemple en est donné par Jean-Claude Risset avec le rôle de la représentation en ondelette des phéno-mènes acoustiques (on pourrait citer aussi la pratique de la perspec- tive qui anticipe la géométrie projective. Piotr Kowalski met l'accent sur les différences lorsqu'il écrit : « La science travaille sur le consensuel. L'art repose sur des aberrations personnelles. On n'aurait pas besoin d'art si tout devenait science. » Jean-Marc Lévy-Leblond s'exprime un peu différemment « La science et l'art ne sont pas des voies parallèles. Elles sont au contraire parfaitement orthogonales. De temps en temps, aux carrefours, peuvent se dérouler de brèves rencontres, intéressantes justement parce qu'elles sont brèves. » Mais si, comme le pense J.-M. L.-L., la science, elle-même est menacée plus que l'art par les conditions actuelles, économiques et sociales, de son exercice, par « l'absence d'une dimension critique explicite », un effort collectif comme celui entrepris par autrement doit être salué et encouragé.
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Paul Braffort © 2002 |