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Mozart + Duchamp = la onzième possible

Le mot possible est bien le mot clé de cette communication. Car Duchamp a toujours été intéressé par les questions du hasard, des probabilités, du stochastique. Son intérêt pour la mathématique est bien connu (1) et l'on sait qu'il a lu avec passion, à la bibliothèque Sainte-Geneviève les traités d'Henri Poincaré. Il était particulièrement intéressé par les problèmes de l'espace et en particulier par le concept d’une "quatrième dimension", alors fort en vogue dans le public lettré(2), mais il n'a pas négligé le traité de calcul des Probabilités publié par Poincaré en 1896. Au cours de ses entretiens avec Pierre Cabanne, en 1966, il déclara :  «  Le hasard pur m'intéressait comme un moyen d'aller contre la réalité logique : mettre quelque chose sur une toile sur un bout de papier, associer l'idée d’un fil droit horizontal d'un mètre de longueur tombant d'un mètre de hauteur sur un plan horizontal à celle de sa propre déformation à son gré. Cela m’avait amusé.  C'est toujours l'idée « amusé » qu'il décidait à faire les choses, et répétées trois fois. Pour moi le 3 à une importance n'est pas du tout du point de vue ésotérique, à ce fin simplement du point de vue numération : un, c’est l’unité, deux, c’est le double, la dualité, et trois, c'est le reste. Dès que vous avez approché le mot trois vous auriez trois millions, c’est la même chose que trois. »
La cinquième section de la fameuse Boîte verte(3) est d’ailleurs intitulée Hasard. Elle évoque les 3 stoppages étalons et contient sous, forme d'une partition, un Erratum musical qui devait être chanté par Marcel et deux de ses sœurs : Yvonne et Magdeleine :

Les notes étaient produites par tirage au sort, dans un chapeau, de boules portant des numéros correspondant aux « 89 notes d’un piano ordinaire ».

Au cours de sa rapide traversée de la peinture, Marcel Duchamp avait, en 1911, effleuré le cubisme et enthousiasmé Apollinaire. Un exemple remarquable est ce portrait de sa mère et de ses trois sœurs faisant de la musique. Ce tableau était intitulé Sonate.

Aussi, puisqu’il m’arrivait, à l'occasion d'ateliers ou de récitals organisés par l’OuLiPo, de présenter des chansons dont j’avais composé la musique sur les paroles des poètes de notre groupe, je cherchais à compléter un programme qui comprenait déjà Queneau, Bens, Queval, Calvino, et plusieurs survivants, et je décidai de mettre Duchamp en musique. Le seul texte qui pouvait convenir, me semblait-il, était Possible, fragment isolé de la voile verte rédigée en 1913 (je respecte ici la typographie de Duchamp) :

Possible

La figuration d’un possible
(pas comme contraire d’impossible
ni comme relatif à probable
ni comme subordonné à vraisemblable)
Le possible est seulement
un « mordant » physique [genre vitriol]
brûlant toute esthétique ou callistique (4).

Après de valeureux efforts, il me semblait plus raisonnable de m’en remettre à un autre génie, qui avait composé de justement célèbres sonates et je m’aperçus que la ligne mélodique des quatre premières mesures de la onzième (la sonate en la majeur, opus 331) convenait parfaitement au texte de Marcel. La voici, avec le texte y afférent (5) :



1 Cet intérêt a été rappelé par François Le Lionnais dans sa contribution au Catalogue de l’Exposition Marcel Duchamp (Centre Pompidou, 1977). Le titre choisi par FLL (mais non retenu pour le catalogue) était : Marcel Duchamp, joueur d’échecs et aussi, la penséz mathématique.

2 Cf. Linda Henderson : The Fourth Dimension and Non-Euclidean Geometry in Modern Art.Princeton University Press, 1983.

3 Editée en 1934, cette Boîte  contient des documents rédigés entre 1913 et 1914.

4 Mot inusité, synonyme, en fait, d’esthétique.

5 Elle figure sur le troisième CD: Poèmes des Oulipiens et de leurs aînés de mon coffret . L’arrangement, dû à Christian Maillard comporte un accordéon et trois tubas, tous joués par Christian lui-même !

 

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Paul Braffort © 2009
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