Long cours / Après

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akerÆ
ou la reprise
1999-2003

L'ultime préface

 

Je termine ici cette Préface. Elle est sans doute mon dernier écrit. Sans regret, je m'assieds maintenant sur le talus de la route pour regarder passer ceux qui, l'oil fixé sur les lointains, vont ardents à la conquête. Je n'attends plus, ayant regardé le spectacle du monde, que la grande retraite.
La civilisation entre, une fois encore, dans une période troublée, une phase critique. Peut-être va-t-elle subir la plus ample et plus radicale crise de métamorphose qu'elle ait connue. Des convulsions sociales et nationales, de véritables séismes, seront le lot sans doute du prochain avenir. Les descendants immédiats et lointains de notre génération auront, s'il en est ainsi, une destinée assez rude. Selon le vou téméraire de Nietzsche, ils vivront dangereusement. Ils verront des choses d'un grand intérêt, que nous n'avons pas prévues, nos connaissances sociologiques n'étant pas assez profondes. Mais la place au spectacle sera d'un prix fabuleux. Les hommes de ma génération, accoutumés à des pièces et à des péripéties plus mesurées, n'ont guère de regrets de quitter le théâtre - ou le cirque - avant l'entrée des gladiateurs dans l'arène. Les jeux sanglants - ils en ont vu quelques-uns - même terminés par la mort du vaincu, n'excitent pas leur enthousiasme. Mais les goûts changent vite, d'une génération à l'autre. Peut-être nos successeurs nous plaindront-ils d'avoir vécu une vie si terne à leur jugement, et si peu dans leurs tendances. Elle eut pour nous quelque charme.

Le Long cours que décrit ce domaine particulier de mon site, proprement autobiographique, n’est pas totalement tari, au moment où j’écris ces lignes, bien évidemment ! Mais

toute chose pourtant doit avoir une fin

observe Raymond Queneau dans cet alexandrin qui est le dernier vers des dix sonnets formant la base génératrice des cent mille milliards de poèmes.

Le système poétique combinatoire de Queneau a été publié en 1961. L'ouvrage de Georges Matisse dont est extrait le paragraphe ouvrant cette dernière section de mon site est paru, lui, en 1953, c'est-à-dire il y a exactement cinquante ans. Comme Raymond Queneau et comme François Le Lionnais, Georges Matisse était un esprit universel, biologiste de formation mais aussi écrivain, philosophe et militant libre-penseur. Un peu oublié aujourd'hui, il avait publié de nombreux ouvrages aux Presses Universitaires de France et chez Hermann. Son ouvre s'achève sur une triple trilogie : La philosophie de la nature (1938), Le rameau vivant du monde 1949), et finalement L'incohérence universelle. C'est la préface de ce dernier ouvrage qui est citée ci-dessus.
Conclure sur un constat d'incohérence universelle ce serait sans doute manifester  une excessive mélancolie. Celle de Matisse n'est cependant pas la mienne. Elle s'accompagne pourtant chez lui d'une certaine forme de stoïcisme, stoïcisme qui, masqué sous l'autodérision constitue l'enseignement profond de la 'Pataphysique et auquel j'adhère pour l'essentiel.

On ne peut avoir vécu les trois derniers quarts du XXe siècle sans avoir connu ces espoirs et ces désillusions terribles qui ont marqué cette époque dans de nombreux domaines de la vie sociale, de l'action politique, de la civilisation tout entière. Et le désenchantement n'est pas moindre en ce qui concerne les activités de la recherche et les progrès de la connaissance.
Après une phase d'avancées rapides et diverses, tout d'abord en physique fondamentale, puis en biologie, il semble que nous soyons arrivés à une accumulation mal maîtrisée de faits et de théories qui débouche aujourd'hui sur une véritable confusion.

Il me semble que la domination, dans plusieurs domaines de la science, de théories qui se sont autoproclamées "standard" n'est pas sans avoir de sérieuses conséquences. En même temps la mainmise irrépressible des forces économiques, devenues écrasantes, d'un "libéralisme" bien mal nommé s'accompagne d'une dégradation rapide de nombreux domaines de l'art.

Encore une fois il n'est pas impossible que des voies nouvelles puissent s'ouvrir qui offriraient quelques perspectives plus encourageant en particulier dans le domaine des sciences fondamentales. Depuis quelques années je me suis remis à l'étude de problèmes que j'avais abordés et trop vite abandonnés. Cette reprise à laquelle je me consacre aujourd'hui, je l'ai baptisée akerÆ phonétisation miroir du cri d'Archimède.  C'est aussi le titre du quatrième domaine constitutif de ce site. J'y développe les critiques que je viens d'évoquer et j'y propose des ébauches de solutions, solutions qui, une fois encore, ne peuvent trouver leurs racines que dans une approche de multidisciplinaire. Contrairement à Long cours, ce domaine de recherche n'est pas clos à ce jour.

C'est donc une activité de "chercheur du dimanche", mais, comme je l'ai indiqué dans un entretien réalisé à l'initiative du collège international de philosophie, pour son 20e anniversaire et qui a été diffusé du 4 au 27 novembre 2003 à la Bibliothèque nationale de France, cette activité qui parcourt un Dimanche la vie permet d'imaginer que ma vie a été un long dimanche.

 

Paris, vendredi 5 décembre 2003

 

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Paul Braffort © 2003
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