Littératures / Théories et Méthodes

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Automatisme et littérature

 

 

1.- urgence d'une psychanalyse

[...] Si nous ne méritions de trouver des émules, nous les engagerions alors à étudier, du même point de vue d'une psychanalyse de la connaissance objective, les notions de totalité et, de systèmes d'éléments, d'évolution, de développement.[...] On n'aurait pas de peine à saisir à la base de telles notions, des valorisations hétérogènes et indirectes, mais dont le ton affectif est indéniable. Dans tous ces exemples, on trouverait sous les théories plus ou moins acceptée par les savants ou les philosophes, des convictions souvent bien ingénues. [...]

Gaston Bachelard [1]

L'actualité nous apporte l'écho des premiers remous de que provoquèrent les progrès de l'automation dans l'industrie. En Angleterre une grève a eu lieu; aux U.S. A., les syndicats se sont émus, en France, des commissions parlementaires se proposent à leur tour d'aborder le problème. Notre but n'est pas, dans ces pages, d'examiner cet aspect économique et social de l'automatisme. Mais, puisque l'aspect social des choses se double nécessairement d'un aspect psychologique, il semble opportun d'en étudier le reflet dans la littérature et en particulier dans la littérature contemporaine d'anticipation scientifique.

Les conquêtes de l'automatisme ne se font que peu à peu dans les pays les plus avancés du point de vue économique et technique l'U.R. S. S. et les U. S. A, et ces pays sont les premiers à voir se développer une littérature abondante et souvent de qualité sur ces sujets.

En Union Soviétique, la littérature d'anticipation prend à un essor considérable, fait l'objet de concours des etc.; l'un des meilleurs romanciers soviétiques de entre les deux guerres Alexis Tolstoï y, fut un excellent auteur d'anticipation. Aux États-Unis, les plus grands écrivains se sont brusquement révélé au cours des dernières années en des ouvres les problèmes d'automatisme jour jouent un rôle essentiel (nous songeons, en particulier, à des auteurs tels Ray Bradbury et Richard Matheson qui assurent avec bonheur la relève des FAULKNER, DOS PASSOS, STEINBECK, etc. de naguère).

La littérature d'anticipation scientifique ne s'embarrasse guère, en général, des détails techniques. Les écrans antigravifiques, les mécanismes alimentés par des sources inépuisables d'énergie, les automations complexes et sans défaillance ne manquent pas

Mais cette liberté que l'imagination prend ainsi vis-à-vis des contingences est précieuse, car elles éclairent d'une vive lueur les arcades de la pensée moderne. Les rêveries qu'elles expriment sont des rêveries profondes de l'homme de ceux de ce temps, mais aussi de longs de tous jours. Hommes de la rue ou ingénieurs sont les vecteurs de cette à de littérature nouvelle; ils lisent, ils rêvent... Il liste en particulier les ouvrages anticipation parfois même ils en écrivent. Il y a là des interactions fort complexes et c'est la plus grande leçon qu'il faut tirer des livres de Bachelard; il nous y montrent à l'évidence que le moteur du progrès rationnel qui jamais purement rationnel.

Savants ou techniciens, dans leurs expériences, leurs projets, réalisent des rêveries autant que de clairs desseins. Se livrer à une psychanalyse de l'automatisme, c'est donc contribuer à l'histoire concrète de la connaissance à notre époque; c'est en même temps ouvrir des perspectives à la recherche comme la pédagogie.

Certes, les complexes qu'un public informé entretien à l'endroit de son vu présentent comme une "ère des robots" ne peuvent être dissipés par simple travail de propagande. Au moins quelques-uns des problèmes que ce temps nouveau apporte peuvent-ils être ainsi tirés au niveau de la conscience claire.

 

2.- LE COMPLEXE DE FRANKEINSTEIN

[...] J'observais alors - avec quel effroi, il est inutile de le dire - que son extrémité inférieure été formé d'un croissant acier étincelants ayant environ à pied le long d'une corde à l'autre, les cordes dirigé en haut, et le tranchant inférieur est évidemment effilé comme celui d'un rasoir. Comme un rasoir aussi, il apparaît ces lourds et massifs, ces épanouissant à partir du fils en une forme laryngée solide. Ils étaient ajustés à de lourdes verges du cuivre le tout sifflait en se balançant à travers l'espace [...]

Edgar Poe [2]

L'hostilité qu'on manifesté les ouvriers de la Standard à l'introduction de chaînes de production automatique à des racines essentiellement économiques. Mais à côté de l'analyse purement objective que cet événement réclament, il n'est pas mauvais d'examiner les composantes subjectives du comportement. On s'aperçoit alors que chez tout être humain existe une haine latente, une peur aussi du robot. L'homme, inventeur et constructeur de la machine automatique a peur de sa création. Il craint qu'elle ne se retourne contre lui pour l'anéantir. C'est une hantise très ancienne, exprimant sans doute l'expérience que l'humanité possède depuis longtemps du caractère dialectique de sa propre évolution; expériences en tout cas bien antérieure à la notion d'automatisme. Mais l'angoisse qu'elle décèle se manifeste avec tant de force aujourd'hui qu'il nous paraît possible d'en rendre compte sous l'appellation commode de "complexe de Frankenstein" dont l'énoncé même se pas de tout commentaire. Si Bachelard a pu dire du "complexe de Prométhée" qu'il était le complexe d'Oedipe de la vie intellectuelle, nous pourrons faire - sans trop vouloir tirer d'un tel rapprochement - du complexe de Frankenstein le complexes d'Oedipe de la vie scientifique et technique. L'homme reste, il restera sans doute éternellement un apprenti sorcier. Il garde un sentiment profond de la culpabilité qui est la sienne pour sa curiosité insatiable - péché originel - pour sa gloutonnerie à l'endroit des précieux fruits de la connaissance.

Nous illustrons ces considérations par quelques exemples typiques. Mais il est bien clair que le complexe de Frankenstein ne se reflètent tant très bon nombreuses ouvres littéraires et artistiques, pas seulement dans la littérature; il s'y ajoute parfois des composants burlesques comme dans "les Temps modernes" et notamment de la séquence où Chaplin est aux prises avec la machine à distribuer automatiquement la nourriture, ou des composantes poétiques comme certains films d'avant-garde et notamment le "ballet mécanique" de Fernand LEGER. Nous n'aborderons dans ce paragraphe que le sentiment de culpabilité dans la littérature contemporaine

Ce thème le plus simple - et le mois effrayant - est celui des robots s'attaquant à l'homme sur l'ordre d'êtres provenant d'autres univers. L'homme n'est ici qu'une victime parfois complètement innocente, parfois maladroite ou simplement ignorante des lois et des mours ces créatures.

Le Père truqué (The Father Thing) de Philip K. DICK [3] nous offre le spectacle d'une bête d'un autre monde:

[...] Une bête rouge brique, le corps scindé en articulations, les pattes recourbées et interminables, qui creusaient frénétiquement le sol sous elle [...]

Cette bête a le pouvoir de faire pousser sur les détritus des sorte d'automates aux  apparences presque humaines, ne devenant complètement humaine que lorsqu'ils s'approchent d'un être vivant qu'ils dévorent et auquel ils ressemblent alors complètement :

[...] Une forme immobile, muette, qui poussait au sommet du tas d'ordures comme quelque géant champignon nocturne. Un cylindre blanc, une masse pulpeuse qui scintillait comme humide au clair de lune. Un énorme cocon formé d'une substance cotonneuse. Vaguement se distinguaient des bras et des jambes, ainsi qu'une tête indistincte et à demi formée [...]

Dans Philipshape Home [4] de mystérieux visiteurs traquent, non plus des hommes, mais un pâté de maisons tout entier dans une grande ville. Ce pâté de maisons est en réalité une fusée qui démarre un beau jour avec tous les habitants, dont certains commençaient à pressentir les anomalies de leur immeuble (dont le portier avait un oil dans la nuque !) .

Jusqu'ici, l'homme est la victime innocente de mécanismes étrangers et puissants. La Ville de Ray BRADBURY [5] nous dépeint arrivée d'hommes sur une planète d'un système lointain. Ils se promènent, inquiets, dans une ville déserte. En réalité, cette ville n'est qu'un immense complexe d'appareils de mesure et d'automatismes très élaborés. La ville a détecté une

[...] Odeur de cuivre, odeur poussiéreuse de la poudre brûlée, du soufre, du gaz échappement[...]

Ce renseignement impressionna une bande qui glissa dans une fente, le long d'un tube et de fin ouvrages, jusqu'à d'autres mécanismes. Un calculateur se mit à battre comme un métronome : cinq, six, sept, huit, neuf. Neuf individus. Le message fut instantanément imprimé sur une bande qui coula sur des rouleaux et disparut[...]

Finalement, un homme est happé par la ville, disséqué, analysé.

[...] Le crâne ne fut trépané, l'encéphale dégagé, les nerfs retirés, les muscles allongés à la limite élastique; tandis que dans la centrale souterraine de la ville, le cerveau établit enfin le grand total et tout le mécanisme qui haletait monstrueusement..."

Oui, ce sont bien des hommes, des habitants de la terre qui, il y a 25.000 ans ont dévasté cette planète et l'ont abandonnée après y avoir répandu une terrible maladie. La ville va donc enfin pouvoir se venger.

[...] Vite ! Sur la table rouge, avec le corps du capitaine écartelés et vidés, de nouvelles maisons se mirent en branle. À l'intérieur humide furent placés des organes du cuivre, de laiton, argent, d'aluminium, de caoutchouc, de soins par; et de toiles fines fut tracé sous l'épiderme, un cour fut introduit dans le thorax, un cerveau de platine fixée recrache de, qui nourrissait en émettant de minuscules étincelles bleues..

L'équipage truqué se retourne vers la terre avec un chargement de "bombes à maladie".

Parfois, l'automate a des ratés et c'est L'androïde assassin d'Alfred BESTER [6]. Parfois c'est le propriétaire du robot qu'il abîme par maladresse et en est la victime. C'est le cas du propriétaire de "La machine" de Gabriel AUTHIER [7]. Il s'agit d'une machine domestique qui range les meubles, fait la vaisselle, etc.. À la suite d'un faux mouvement la prend le propriétaire laisse tomber des haltères sur la machine. Pendant la nuit se réveille au bruit des meubles tombant dans la cage de l'escalier; puis la machine s'empare de son enfant; c'est enfin sa femme qui est précipitée du sixième étage. Il finit par jeter la machine dans la cage de l'escalier. La machine des voisins, après avoir enfermé ceux-ci vient pour venger sa congénère.

[... ] Nick, hagard, put encore voir les bras mécaniques qui se levaient vers lui et ne perdit connaissance qu'en sentant les griffes de métal se refermer sur ses chevilles"..

De toutes ces rêveries d'autopunition, rêveries qui sont de véritables cauchemars, les plus effrayants sont ceux dans lesquels l'homme est, par sa faute, victime de robots trop parfaits. C'est en de telles histoires que se manifeste le plus clairement le complexe de Frankenstein.

Dans Automate, Société Anonyme [8], un mari, las de la vie conjugale, achète un robots absolument identique à lui-même, afin de se faire remplacer pendant une escapade. Mais le robot trop bien construit s'éprend de l'épouse délaissée se débarrasse du vrai mari.

[...] Dix minutes plus tard, Miss Braling se réveille. Elle se touche la joue. Quelqu'un venait de l'embrasser. Elle frissonna et ouvrit les yeux.
- Mais... tu n'a pas fait cela depuis des années ! murmura-t-elle.
- Nous allons voir ce que nous allons voir, dit quelqu'un [... ]

Dans cette dernière nouvelle, l'horreur n'était que sous-jacente et masquée par l'humour. Il n'en va pas de même  dans  La brousse [9]. Ici l'automate n'est plus "androïdes". Il s'agit d'une maison perfectionnée.

[...] Ils s'engagent dans le couloir de leur demeure de la Vie heureuse, insonorisée, qui leur avait coûté trente mille dollars, cette maison qui les habitait, les nourrissait, les berçait pour les endormir, qui jouait et qui chantait, et qui était bonne pour eux.

Cette maison comporte une nursery dont les murs rendent visibles les rêveries, les paysages.

[...] Les murs étaient nus, à deux dimensions. Or, pendant qu'ils se trouvaient là, au centre, les murs se mirent à ronfler et à s'éloigner dans une distance cristalline, la brousse africaine apparut en trois dimensions, de toutes parts, en couleurs, dans ces moindres détails, jusqu'au plus petit caillou. [...]

Les odeurs, les bruits, sont également reconstitués. Mais les enfants amateurs d'Afrique prennent fort mal une réprimande des parents : ils les enferment alors dans la nursery trop parfaite, puis reconstituent non seulement la brousse, mais aussi les lions et les vautours qui ont tôt fait d'accomplir une atroce vengeance.

 

3.- de parfaits mécanismes

[...] Un quart d'heure plus tard, j'arrivai bords d'une large route où filait rapidement une foule de véhicules. Leurs formes et leurs couleurs ressemblaient à celles des poissons. Ils allaient sans bruit, comme s'il n'avaient pas de moteur. Dépourvus de roue, ils semblaient planer aura de la chaussée... Ils avaient beau (les passagers), se retourner au passage et discuter entre eux, rien n'était changé dans le mouvement du flot. Cette multitude était emportée par une force impassible et supérieure je ne pouvais situer nulle part.

Michel CARROUGES [10]

Le complexe de Frankenstein n'épuise pas le contenu onirique de la littérature de "science-fiction". A côté des rêveries de l'autodestruction, il y a aussi les rêveries de puissance illimitée, de perfection mécanique et technique, souvent liés aux rêveries aériennes, à l'imagination du vol.

De telles rêveries sont évidemment le contrepoint optimiste du complexe de Frankenstein ; elles manifestent la réaction physiologique instinctive contre les effets destructeurs de ce complexe. Mais il va de soi que les deux thèmes antagonistes sont rarement dissociés dans un texte précis. Tout au plus peut-on, en général, ressentir la présence d'une note dominante. Même dans un thème typiquement "frankensteinien" comme celui de La brousse que nous venons d'analyser, se trouve une description complaisante de la maison de  La vie heureuse. L'angoisse et l'horreur de viennent qu'après.

Aussi ne devons-nous pas être surpris de découvrir du fonds de imagination des parfaits automatismes une source d'émotions de rêveries qui remonte à la plus haute antiquité, sans doute même à l'époque préhistorique; comme pour le complexe de Frankenstein  et symétriquement, en quelque sorte, cette charge affective est bien antérieure à l'élaboration et à l'utilisation d'automatismes.

Les rêveries de puissance sont une réaction élémentaire de l'homme aux prises avec la matière - une matière qui se révèle décidément trop indépendantes de sa volonté. L'homme, face à l'univers impassible, avant, par la pratique, la technique et la science, de se donner une emprise effective sur les choses, essaie les incantations, la magie; ce n'est qu'après l'échec de l'imagination pure, passive, qu'il se résout à l'imagination appliquée, praticienne, forgeuse d'outils, d'expérience.

Des grands mythes de la puissance matérielle subsistent dans tous les folklores, les traces souvent très belles des contes de fées, des histoires de génie, de sorcières : toute l'immense littérature fantastique. Les auteurs contemporains d'anticipation sont d'ailleurs souvent des auteurs fantastiques (notamment Bradbury [11], MATHESON [12]. Y a-t-il  si loin du "Sésame ouvre-toi" des contes des Mille et une nuits aux portes automatiques de la Demeures de la vie heureuse ?. En fait, tout le fantastique - si l'on exclut le surnaturel du type fantôme, diableries, etc. - décrit la réponse automatique de systèmes physiques à des sollicitations verbales ou graphiques. Qui ne verrait la parenté avec nos modernes calculatrices, ressources inépuisables des romanciers d'anticipation ?. La seule différence est que dans les thèmes fantastiques, le mécanisme reste caché, faut d'hypothèses valables pour le décrire. Dès qu'une imagination suffisamment puissante est capables de produire des hypothèses, elle ne s'en prive pas (et ceci dès Cyrano de Bergerac [13]).

C'est ainsi que les nombreux véhicules volants, sans source d'énergie apparente, sans pilote, rencontre dans les textes modernes comme dans celui de Michel CARROUGES, cité en exergue, ne sont qu'une forme nouvelle de la lévitation chère à l'imagination orientale et qui se veut telle [14].

Mais l'immense intérêt de l'automatisme, c'est qu'il donne à l'imagination rêveuse un nouvel élan. Il donne une bonne conscience à la pensée contemporaine presque toujours formée à l'école d'un strict nationalisme. Derrière le paravent de l'électromagnétisme, de la gravitation, de l'énergie atomique, etc. la conscience s'en donne - si l'on peut dire - à cour joie. Et des différents thèmes qu'on retrouve en "science-fiction", c'est celui les parfaits automatismes qui est de loin le plus riche à cet égard. Il nous faudra en tirer la leçon. Mais nous donnerons tout d'abord quelques exemples caractéristiques des thèmes de perfection automatique dans la littérature contemporaine, afin de mettre en évidence la force des désirs inconscients qui se cachent derrière l'affabulation scientifique et technique.

Le thème de la maison automatique est bien connu. On le rencontre notamment dans Ravages de René BARJAVEL [15], dans Fahrenheit 451 de Ray BRADBURY [16], où l'on retrouve le thème des murs qui sont des écrans de télévision en trois dimensions et en couleurs (avec son, odeurs, etc.). Ce thème, cher à BRADBURY, revient dans La pluie [17] avec l'histoire d'un homme naufragé sur Vénus où des "coupoles solaires" sont le seul refuge contre l'éternelle pluie vénusienne qui rend fou ceux qui s'y perdent.

[...] Il était au centre de la pièce, un grand soleil, jaune et chaud. Il ne faisait pas de bruit et la pièce était silencieuse. La porte était fermée. La pluie, un souvenir de son corps pantelant. Le soleil était haut dans le ciel bleu de la salle, chaud, brûlant, jaune, beau. [...]

Ce thème de la maison parfaite est à rapprocher du thème bien connu en psychanalyse du "retour sein maternel". On en trouvera un exemple particulièrement clair dans La mère Alfred COPPEC [18]. La maison est une fusée parfaite où le pilote - qui sera le premier homme à atteindre la Lune - et parfaitement protégé contre tous les dangers extérieurs.

[...] On somnolait dans le noir d'un confort caressant, moulé dans un plastique souple, alimenté en air, eau et nourriture par des tubes qui vous liaient à la fusée comme le fotus est lié à la femme enceinte [...]

La fusée est si parfaite qu'au bout du voyage le pilote se refuse sortir, malgré les sollicitations retransmises par radio de la terre. La tendance psychanalytique de COPPEL est ici trop évidente pour qu'il soit nécessaire de s'y arrêter.

Isaac ASIMOV a donné une fort belle variante du même thème dans "It's such a beautiful day [19]. La merveille ici n'est plus la Maison, mais la Porte. Il suffit pour se déplacer d'indiquer les coordonnées numériques de la maison où l'on désire se rendre. Puis on pénètre dans la porte et on est désintégré, retransmis et reconstitué dans la porte de cette autre maison. On ne circule donc plus jamais entre les maisons, à l'air libre (cette angoisse, cette sorte de claustrophobie littéraire, est bien caractéristiques de I. ASIMOV, comme le montrent Les cavernes d'acier [20].

L'imagination du transport instantané a distancé - liée comme nous l'avons indiqué aux rêveries de vol - se retrouve aussi dans l'appareil d'AUDIBERTI et BRYEN [21].

[...] On introduit dans le Synégo une image graphique (dessin ou photo) d'un individu donné, humain, minéral, animal, ou même un chiffrage signalétique. À l'autre bout de l'appareil, on introduit l'image ou la fiche d'un second individu. Alors de même qu'une machine à décider relève les états intermédiaires entre eux épures [...]

Le Synégo crée un univers où ces deux individus se rencontrent effectivement. On assiste ainsi à la rencontre de Pancho Villa et d'Héliogabale "dans le cabinet d'un homme de lettres londonien à l'époque de la guerre de Crimée.

L'utilisation humoristique des machines parfaites est fréquente dans les histoires de robots. Dans une composante sexuelle, dans La ceinture du robot, le héros qui dispose d'une femme-robot n'est pas épargné par la jalousie tou comme dans never for everybody [22]) où la beauté-automate ne se vend si bon marché qu'en raison des achats qu'elle impose son acquéreur pour le compte de la "Sola Chemistics Inc.".

Un thème un peu plus inquiétant est celui de l'automate qui ressemble parfaitement à un individu déterminé. Nous l'avons rencontré dans Automates Société Anonyme, nous le retrouvons dans Mélisande et l'Automate" [23] du cinéaste Carlo RIM où il donne lieu à des quiproquos vaudevillesques dans le plus pur style Feydeau. De façon analogue, de trop parfaites machines à voyager dans le temps donnent lieu dans les Contse de l'absurde de Pierre BOULLE [24] à petit ballet spatio-temporel à la René CLAIR.

Les Myrmidons [25] sont à sujets moins aimable; ce sont des modèles réduits d'humains qui vivent dans un temps accéléré et servent à des expériences de sociologie et de psychologie collective; mais ils vivent, souffrent et meurent dans l'homothétie jour/seconde, ce qui ne manquera pas d'inquiéter les spécialistes du calcul analogique.

Signalons enfin le trop beau jouet réalisé par un enfant prodige dans Les dents du dragon [26]. Il s'agit d'un arbre dont le métabolisme est métallique et non organique et dont les fruits sont de vrais fusées interplanétaires. Inutile de dire que cette parfaite réussite de mécanique, bien qu'elle soit isotherme, éveille nécessairement un malaise considérable chez le spectateur et que l'histoire se rattache donc aussi au complexe de Frankenstein.

 

4. - AMES AUTOMATIQUES ET AUTOMATISMES DE L'AME

[...] Des roues quelques ressorts de plus que dans les animaux les plus parfaits, le cerveau proportionnellement plus proche du cour, et recevant aussi plus de sang, la même raison donnée; que sais-je enfin ? Des causes inconnues produiraient toujours cette conscience délicate, si facile à blesser, ses remords qui ne sont pas étrangers à la matière la pensée, et en un mot toute la différence que l'on suppose ici. L'organisation suffirait-elle dont à tout ? oui, encore une fois ; puisque la pensée se développe visiblement avec les organes, pourquoi la matière dont ils sont faits ne serait-elle pas aussi susceptible de remords, quand une fois elle a acquis avec le temps la faculté de sentir.

L'âme n'est donc qu'un vain terme dont on n'a point d'idée, et dont un bon esprit ne doit se servir que pour nommer la partie qui pense en nous. Posé le moindre principe de mouvement, les corps animés auront tout ce qui leur faut pour se mouvoir; sentir, penser, se repentir et se conduire, en un mot, dans le physique et dans le moral qui en dépend.

LA METTRIE [27]

Nous avons rencontré, dans les paragraphes précédents, des automatisme de diverses natures. Il est pourtant clair qu'une place bien à part est réservée aux "robots", "humanoïdes", "androïdes" et autres marionnettes humaines.

 Ceci ne peut manquer d'être rapproché de thèmes très anciens et de pratiques à résonance magique telles que l'envoûtement, l'incinération en effigie et autres résidus de notre passé totémique.

L'homme étant, dans toute la nature, le spectacle le plus étonnant qui s'offre à sa propre conscience, les rêveries sur "l'homme automatique" permettent de voir s'affronter tous les espoirs et toutes les angoisses et ceci au niveau le plus élevé qui est celui de la théorie de la connaissance.

C'est Léonard de Vinci qui, avant CYRANO et LA METTRIE nous propose le pari optimiste, celui de la rationalité totale du monde et il en trouve une application bien concrète dans la construction d'une machine volante en affirmant qu'

[...] un oiseau est un instrument qui fonctionne suivant la loi mathématique instrument que l'homme est capable de reproduire avec tous ses mouvements. [...] [28]

Si l'homme est une machine est s'il est capable d'en analyser le mécanisme jusqu'au bout, alors peut-il aussi construire des hommes complètement artificiels, aux âmes automatiques. Mieux, des êtres plus élaborées encore pourront dépasser le constructeur en perfection. Le thème des "belles âmes automatiques" est donc l'aboutissement naturel des thèmes développés au paragraphe précédent dans ce qu'on se place la perspective d'un périls Paris optimiste sur l'évolution de la nature.

 

5. Anticipation

[...] Quant à moi, bien loin de considérer leur insolence, je crois que les planètes sont des monde autour du soleil, et que les étoiles fixes sont aussi des soleils qui ont des planètes autour d'eux, c'est-à-dire des mondes que nous ne voyons pas d'ici à cause de leurs petitesses, et parce que la lumière empruntée ne saurait venir jusqu'à nous. Car comment, en bonne foi s'imaginer que ces globes si spacieux de soient que de grandes campagnes désertes, et que le nôtre, à cause que nous y campons, pour une douzaine de glorieux coquins, ait été bâti pour commander à tous ? Quoi ! parce que le soleil compasse nos jours et nos années, est-ce à dire pour cela qu'ils n'ait été construit qu'afin que nous ne frappions pas de la tête contre les murs ? Non, non, si ce Dieu visible éclaire l'homme, c'est par accident, comme le flambeau du roi éclaire par accident au crocheteur qui passe par la rue [...].

Cyrano de Bergerac ([13], p.42)

Les quatre sections qui précèdent (tout comme la bibliographie qui suit) ont été rédigées en 1957 alors que je dirigeais le Laboratoire de Calcul Analogique au Centre d'études nucléaires de Saclay (Département d'Electronique). J'étais alors féru de Science Fiction, une passion que je partageais avec Boris Vian (et Raymond Queneau, promoteur de la collection Le rayon fantastique, coproduit par Hachette et Gallimard ; Boris avait traduit pour cette collection les ouvrages fameux de Van Vogt sur le monde des Ã). Science et Littérature s'unissaient encore une fois, après Lucien, Cyrano, Rosny et tant d'autres et produisaient de nouveaux chefs d'ouvre. En France on découvrait aussi des auteurs de talent tels que Daniel Drode et son magnifique Surface de la planète (publié par Le rayon fantastique) dont la brillante construction évoquait le "Nouveau Roman".

Je n'avais pas eu le temps de compléter mon texte (j'étais sur le point d'entreprendre un tour de chant dans un spectacle de la Fontaine des quatre saisons - avec les Frères Jacques en vedette) et je ne me sens pas le courage de le faire maintenant. Je n'ai cependant pas manqué de suivre certains développement de ce genre littéraire qui demande aux auteurs des qualités vraiment exceptionnelles. J'ai une admiration particulière pour William Gibson qui créa un genre nouveau avec Neuromancer puis (un titre évidemment cher à mon cour) Mona Lisa Overdrive. Bien entendu le roman écrit en collaboration par William Gibson et Bruce Sterling : The Difference Engine me plut particulièrement : on y décrit un univers fortement automatisé et informatisé, mais où l'électronique ne s'était pas développée, devancée qu'elle avait été par la pneumatique ! Mon propre travail sur "L'intelligence artificielle" me firent apprécier Richard Powers et son roman Galatea 2.2, mais c'est aujourd'hui Kurt Vonnegut, incomparable artiste et philosophe, de The Sirens of Titan Mother Night, via Slaughterhouse Five, demeure mon préféré.

Tout récemment, les développement d'une robotique spécialisée dans les interventions au niveau de la microbiologie ont produit d'intéressantes publications sur "La vie artificielle", " L'état post-humain", etc..

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Bibliographie

[1] Gaston BACHELARD  La psychanalyse du feu (Gallimard, 1948) , p. 17.
[2] Edgar Poe Oeuvres (1843, trad. Ch.Baudelaire, Bibliothèque de la Pléiade). p. 360.
[3] Philip K. DICK Le père truqué in Fiction n° 29, 1954, p. 44.
[4] Richard MATHESON in Third from the sun (Bantam Books, 1953), p. 360.
[5] Ray BRADBURY in L'homme illustré (Denoël, 1954), p. 221.
[6] Alfred BESTER L'androïde assassin in Fiction n° 24 (1954), p. 3.
[7] Gabriel AUTHIER La machine in Fiction n° 16, p. 46.
[8] in [4], p. 212.
[9] in [4], p. 13 .
[10] Michel CARROUGES Les portes dauphines (Gallimard, 1954), p.16.
[11] Ray BRADBURY The October country (Ballantine Books, 1955).
[12] Richard MATHESON Je suis une légende (Denoël, 1955).
[13] CYRANO de BERGERAC L'autre monde (1643), pp. 46, 56, 60...
[14]cf. Notamment William BEDFORD Vathek et les épisodes (1787, réédition Stock, 1948).
[15] René BARJAVEL Ravage (Denoël, 1942).
[16] Ray BRADBURY Fahrenheit 451.
[17] Ray BRADBURY La pluie, in [5], p.74.
[18] Alfred COPPEL La mère in Fiction n° 1, 1952, p. 113.
[19] Isaac ASIMOV in Star Science fiction stories n° 3 (Ballantine Books, 1954), p. 1.
[20] Isaac ASIMOV Les cavernes d'acier (Hachette, 1956).
[21] Jacques AUDIBERTI et Camille BRYEN L'ouvre-boîte (Gallimard, 1952).
[22] Jack WILLIAMSON in [19], p. 169.
[23] Carlo RIM Mélisande et l'automate (Gallimard).
[24] Pierre BOULE Contes de l'absurde Julliard).
[25] Raymond BANKS Les myrmidons in Fiction n° 27 (1955), p. 40.
[26] Jack WILLIAMSON Les dents du dragon (Gallimard, 1956)
[27] LA METTRIE L'homme machine (1748).
[28] LEONARD de VINCI Les carnets (1508).

 

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