Littératures / Prose

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7.   Ô mes gars !

 


Aussi incroyable que cela puisse paraître, c'est au cimetière de Thiais que j'ai connu celui qui devait me faire connaître le bonheur. Ce bonheur que tant de femmes s'efforcent de trouver et que bien peu, finalement rencontrent. Mais il ne faut jamais perdre l'espoir. Il faut au contraire persévérer dans la recherche de l'idéal et le préserver avec détermination lorsqu'il se présente.

Dès mon adolescence j'avais fait l'expérience de situations délicates où j'avais pu mesurer les méfaits des préjugés familiaux et la nocivité d'une hypocrisie petite-bourgeoise. Plus tard, élève du Cours Désir, j'avais été l'objet des répugnantes assiduités d'une condisciple qui m'avait promis son aide pour améliorer mes résultats en thème latin. La Directrice, au lieu de prendre ma défense, voulut à son tour abuser de mon innocence.

J'imaginais que seul le mariage - un mariage que je me résignais à n'envisager que comme mariage de raison - me permettrait de connaître une certaine sérénité, une paix véritable de l'âme autant que du corps.

Hélas ma vie de femme commença sous de bien tristes augures. J'avais épousé un homme brutal et bestial qui prenait plaisir à m'humilier, n'hésitant pas à se servir des tenailles, du marteau et même du tournevis cruciforme de notre boîte à outils. De plus il buvait immodérément dès la sortie de son travail avant de m'infliger, à notre domicile, de douloureux sévices.

C'est d'ailleurs en état d'ébriété qu'il fut renversé par une benne à ordures, au Plessis-Robinson, un accident dont, malgré l'admirable dévouement du corps médical, des équipes de transfusion sanguine, de réanimation, les aide-soignantes, il ne put réchapper.

Devant le cercueil qui le mettait en terre je me sentis terriblement seule, encore jeune et pourtant confrontée à un avenir sans espoir. Un vide affreux s'ouvrait en moi.

C'est alors que je sentis que l'on prenait mon bras en me disant « Courage, madame ! » Cette voix était celle d'un tout jeune homme au sourire très doux, un étudiant en théologie qui effectuait des remplacements aux Pompes Funèbres Municipales pour payer ses études. Il me raccompagna et, avec une infinie délicatesse, m'aida à retirer mon voile noir. J'ai tout de suite compris où était mon devoir et, grâce à ma petite pension, je l'aide, désormais, dans ses recherches érudites sur l'ouvre de Kierkegaard : je suis enfin une femme comblée !

 

 

 

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Paul Braffort © 2002
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