Le langage / Intelligence et artifices

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Les jeux d'artifices :

intelligence et conception, réalités et virtualités

 

 

Avant-Propos

A un moment où le progrès continu des techniques de représentation et de manipulation de l'information permet de surmonter de nouveaux obstacles sur la voie d'une conception intelligente d'artefacts, j'ai pensé qu'il pourrait être utile de rassembler un certain nombre de textes composés entre 1989 et 1993, où l'accent était mis sur l'impact d'une compétence linguistique accrue sur le développement de la CAO.

J'ai apporté à ces textes les révisions et adaptations nécessaires à une cohérence raisonnable de l'ensemble, en m'efforçant de rester à jour des développements les plus récents.

La première partie de ce travail  est une adaptation en français d'un exposé présenté le 26 mai 1992 à Paris, dans le cadre d'un atelier : Intelligent systems related to Design, organisé par l'Ecole Nationale Supérieure de Création Industrielle.

La deuxième partie reprend le texte d'une conférence prononcée le 19 mai 1992 à l'Université de Paris XIII (Villetaneuse), dans le cadre du séminaire du LIPN.

La troisième partie est inédite. Elle constitue l'élaboration de réflexions déjà anciennes, qui se sont cristallisées lors de discussions avec l'équipe de Lutèce'IA entre 1991 et 1993.

La quatrième partie reprend et développe des considérations qui avaient fait l'objet d'un exposé au Colloque Les Arts Electroniques qui s'était tenu à Rennes en juillet 1989.

Enfin la cinquième partie s'appuie sur des comptes-rendus du Colloque de Montpellier L'interface des mondes réels et virtuels (Montpellier 23-27 mars 1992), comptes-rendus présentés à Lutèce'IA en avril 1992, ainsi que sur la conférence d'introduction au Colloque Artificial Intelligence and Knowledge Base Systems for Space, organisé par l'Agence Spatiale Européenne (Noordwijk, Pays-Bas, 17-19 Mai 1993).

Les notes relatives à chacune des parties figurent à la fin de ces parties. Par contre la bibliographie a été regroupée en fin de rapport, afin d'éviter les redites.

 

Première partie 

Intégration de méthodes et de savoirs linguistiques dans les nouvelles technologies de la conception

 

Chapitre 1

Problèmes de la conception : les mille et une facettes

Les problèmes de la conception ont été pendant longtemps l'objet de recherches essentiellement spéculatives et qui concernaient surtout les domaines de la création artistique et littéraire. L'évocation des Muses apportait aux créateurs et aux critiques le charme d'une représentation allégorique des plus élégantes. Mais les Arts n'allaient pas sans les Métiers et, par conséquent, sans l'énoncé de règles et de canons, sans l'explicitation de procédures et de contraintes.

Peu à peu les activités de découverte : description, puis analyse de la nature, se séparaient du tronc commun de la culture et se déployaient en recherche scientifique et technique. Le problème de la création se formulait alors en termes nouveaux, plus précis. Une discipline nouvelle, l'heuristique prenait naissance dans le droit fil de l'enseignement de Leibniz. Elle donnait lieu - pour le cas particulier de la création mathématique - à d'importants travaux de Polya, pour retrouver une orientation plus épistémologique - et moins opérationnelle - avec les travaux d'Edgar Morin sur La méthode.

Mais depuis les années 60 la spéccification effective d'une heuristique rationnelle avait donné lieu a des réalisations techniques précises avec l'apparition des premières manifestation d'une activité qui devait birntôt prendre le nom d'Intelligence Artificielle. En particulier les programmes de simulation des jeux - comme les échecs - font un usage essentiel d'heuristiques (souvent fondées sur des fonction d'évaluation de la position). Et peu à peu les ressources des nouvelles technologies - et en premier lieu de l'informatique - ont été mises au service des créateurs : ingénieurs, puis concepteurs, et ceci dans les domaines les plus divers. C'est ainsi que nous nous trouvons aujourd'hui en présence d'une demande accrue de recherches et de développements pour un domaine d'applications très vaste, recherches et développements qu'il est commode de rassembler sous le titre général de Conception assistée par ordinateur (CAO), en anglais Computer aided design (CAD).

L'importance de ces recherches est liée à l'impact qu'elles ne peuvent manquer d'avoir sur bien des aspects de notre civilisation industrielle. Cette civilisation peut en effet se caractériser - de plus en plus - comme créatrice d'artefacts, depuis le gadget, le bijou, l'outil perfectionné, l'invention de type "Concours Lépine", l'appareil électro-ménager, jusqu'au complexe électro-chimique, le réacteur nucléaire, voire la navette spatiale en passant par les produits de la création qui combinent le talent artistique et l'innovation technologique comme la mode, l'architecture et l'urbanisme. Pendant longtemps l'invention est demeurée une activité où s'exprime le génie inventif d'un auteur plus qu'un talent d'exploration exhaustive, puis d'organisation systématique des possibilités. Car chacun de ces domaines d'activité mettait en jeu des "matières" ou des "concepts" particuliers qui relevaient d'une compétence, voire d'un "tour de main" spécifique : les concepteurs étaient avant tout des artisans.

Mais les matériaux à mettre en oeuvre se sont universalisés et les méthodes généralisées. Les recettes se sont faites méthodes, les patrons sont devenus plans et programmes.

Depuis longtemps la table du dessinateur industriel et son savoir-faire fonctionnaient comme des outils à usages multiples. L'utilisation de technologies sophistiquées n'est en réalité qu'un pas supplémentaire dans la mise en place d'une méthodologie moderne .

Reprenons les définitions que propose l'Encyclopædia Universalis :

La conception assistée par ordinateur ou CAO peut être considérée comme l'ensemble des aides informatiques aux bureaux d'études et aux bureaux des méthodes. Elle concerne donc le processus conception-fabrication depuis l'élaboration du cahier des charges jusqu'à la préparation des documents de fabrication...

La CAO est donc une entreprise qui permet de résoudre - ou aide à résoudre - des problèmes complexes  (conception d'un objet, par exemple), en tenant compte des contraintes (coûts, délais, etc...). Une telle entreprise s'inscrit dans l'élaboration et la spécification d'un processus spécifique,

Ce processus s'appuie sur une représentation informatique de l'objet en cours de conception, le modèle, parfois appelé maquette virtuelle. Le modèle permet de simuler des actions (calculs, cinématique...) sans avoir à fabrique l'objet et facilite ainsi, à moindre coût, les modifications et les améliorations.

Le schéma ci-dessous, inspiré par le Pattern language d'Alexander (élaboré pour la création architecturale) offre une présentation générale du "cycle de la conception" :

Ce qu'on attend aujourd'hui des progrès de la CAO, c'est donc tout à la fois

- de renforcer la productivité du travail créatif en libérant le créateur de multiples  entraves pratiques en lui ouvrant de nouveaux choix en facilitant les comparaison entre  diverses solutions

- d'améliorer la qualité des produits sur le plan technologique et sur le plan réglementaire

- d'accroître la productivité en réduisant la durée des études de conception en court-circuitant plusieurs des étapes menant à la production

Bien entendu, il existe plusieurs formes de développements, plusieurs voies de recherche permettant d'atteindre ces objectifs : on peut s'intéresser aux aspects ergonomiques, aux technologies de traitement de l'information, aux logiciels et systèmes experts fournis par l'Intelligence Artificielle, etc...

Le présent rapport est essentiellement consacré à l'examen de la composante linguistique du faisceau de disciplines et de savoir-faire qu'un tel effort implique. C'est là une composante dont l'importance est longtemps restée inaperçue dans la mesure où la création - et surtout la création industrielle - s'exprimait essentiellement par le biais de plans, de schémas, de représentations formelles diverses. La communication prenait la forme non de discours, mais de formules, voire d'équations. Le schéma reproduit plus haut exprime bien cette dichotomie en identifiant de façon explicite la partie formalisée du processus de la conception.

La composante linguistique du processus - évidemment inévitable - demeurait implicite. Mais lorsque les contraintes de la production -  de la production automatisée, surtout - sont devenues plus serrées, l'utilisation du langage - langage naturel augmenté de diverses techniques de représentation - a du être prise explicitement en compte, ce que l'on peut faire en adoptant une approche "phénoménologique". On distingue alors :

- une conception spontanée : c'est la situation de l'inventeur, situation traditionnelle de l'artiste, mais où la spontanéité apparente ne doit pas masquer le rôle essentiel de l'environnement culturel, économique et social du concepteur.

- une conception sollicitée : c'est la situation de l'ingénieur, surtout dans le domaine de la haute technologie où les utilisateurs potentiels lancent des "appels d'offres" auxquels les concepteurs doivent répondre en fournissant des propositions contenant la description des artefacts proposés, l'évaluation des coûts et des délais, parfois même des maquettes. Après la procédure d'évaluation des offres et la sélection d'un ou de plusieurs concepteurs, on entre dans une phase (ou plusieurs phases successives) de réalisation, validation, livraison - y compris d'une documentation - , etc...

Entre ces extrêmes se situent bien des situations intermédiaires où les commandes sont exprimées de façon moins officielle, où la description des projets demeure informelle, ou alors s'exprime au moyen de schémas, d'esquisses. Le schéma ci-dessous, emprunté au domaine de l'ingénierie, en est l'illustration :

Dans tous les cas il est clair que l'énoncé du problème (la commande) comme celui de la solution (le projet) comportent une grande partie de textes dont le contenu - et parfois même la forme - ont une très grande importance, ne serait-ce que juridique. Ces textes concernent la présentation du projet, la justification des choix technologiques, l'analyse du comportement de l'artefact, le mode d'emploi, les conditions de propriété industrielle, éventuellement la documentation promotionnelle.

A ces textes "purs" s'ajoutent évidemment d'autres "arrangements" de l'information : calculs, schémas, diagrammes, modèles, jusqu'aux simulations audiovisuelles. Pendant longtemps les techniques de CAO ont maintenu séparées les phases d'élaboration des projets et celles de rédaction des rapports. Mais puisque dans les deux cas on avait de plus en plus recours à l'outil informatique, il devenait naturel de concevoir un rapprochement des deux pratiques au sein d'un mode de travail intégré. La possibilité d'une telle intégration - qui n'est réellement perçue que depuis peu - résulte de la conjonction d'un certain nombre de développements récents parmi lesquels on notera :

        - les progrès dans l'analyse pragmatique du comportement des "acteurs" dans la conception et l'utilisation des artefacts : on désire que ces acteurs soient des "agents rationnels". Quoi de plus naturel, alors, que d'en rechercher une modélisation informatique.

         - la mise au point de procédure de gestion de textes technologiques, tant pour l'analyse des dossiers que pour la production assistée par ordinateurs de la documentation et des modes d'emploi.

On notera qu'ici les  recherches vont de pair avec celles qu'accomplissent les spécialistes de la conception artistique (et notamment littéraire) assistée par ordinateur, renouant ainsi avec une tradition multi-séculaire, celle des compagnons et de leurs secrets, celle  où - comme nous le rappelions au début de ce travail, les Métiers étaient aussi des Arts. Dans un environnement très complet où intentions et désirs sont spécifiés et pris en compte, comme dans le schéma ci-après,

la possibilité de modéliser du comportement des agents est une fonctionnalité essentielle au succès des procédures de conception automatisée, tout comme la possibilité d'une prise en compte des formulations langagières ou graphiques de descriptions et de contraintes attachées au projet (y compris les contraintes réglementaires et juridiques). Ces fonctionnalités, si elles peuvent être associées, peuvent alors se joindre aux modules de calcul et d'évaluation de l'ingénierie traditionnelle et s'intégrer - au moins en principe - dans un système complet de conception assistée. L'articulation des diverses parties en cause pourra se révéler complexe, comme l'atteste la diversité des styles de schémas que proposent les auteurs de communications sur le problème de la conception. En voici un exemple, qui met en jeu l'exploitation d'univers virtuels :

 

Chapitre 2

La constitution sémiotique des activités de conception :

les bases

Une approche "pan-sémiotique" des activités de conception se doit d'étendre le plus largement possible son domaine d'exploration tant en ce qui concerne les informations à produire ou à transmettre que sur les supports adoptés pour cette transmission. Le tableau ci-dessous n'est qu'une rapide esquisse du domaine qui nous intéresse (dans le cas particulier d'un fonctionnement quasi-industriel,  fonctionnant par appel d'offres):

 

 Manuscrit

Texte ASCII

 Schémas

Objets multimédia

Objets physiques

Brouillon

°
       

Appels d'offres

 
°
°

Propositions

 
°
°
°

Compte-rendus

 
°
°

Rapport final

 
°
°
°

Produit final

 
°
°
°
°

On peut aussi aborder la description sémiotique sous un autre angle, plus traditionnel, où l'on évoquera

- la dimension syntagmatique des activités de conception, celle qui assure la cohérence des textes et la lisibilité des schémas

- la dimension paradigmatique de ces activités où prennent place l'ensemble des connaissances mises en jeu explicitement ou implicitement par le concepteur (et, sans doute, par le lecteur ou décideur - ou utilisateur - éventuel). Ces connaissance peuvent être scientifiques, techniques, juridiques ou même s'inscrire au niveau de la "recette" voire du "tour de main".

Bien entendu les situations hybrides abondent où l'on peut situer des textes ou informations semi-formelles, argumentations et considérations ergonomiques, esthétiques, etc... Le tableau ci-après se propose d'organiser la variété des objets communicationnels en cause en fonction de l'échelle des entités en cause - et aussi de l'activité informationnelle prise en considération.

Tableau synoptique de quatre échelles informationnelles

       domaine

niveau

linguistique

documentation administrative et technologique

littérature

conception

0

graphèmes, lettres, caractères spéciaux

chiffres, symboles

mathématiques

marqueurs épidiégétiques,

guillemets, tirets

supports élémentaires d'information

1

morphèmes, radicaux

acronymes, nombres

syllabes

composants

2

mots

identificateurs

actants

acteurs

3

syntagmes

expressions

micro-unités nar-ratives, marqueurs hémistiches

groupement d'acteurs et d'objets

4

groupements syntagmatiques, phrases

formules, tableaux, graphiques

unités narratives simples, vers, répliques

scènes élémentaires

5

alinéas

articles, sous-sections,démonstrations

unités narratives composites, dia-logues, strophes

 

6

paragraphes

sections, titres

épisodes, scènes, poèmes

scènes complexes

7

chapitres

parties

suites d'épisodes, actes

session de travail

8

volumes

rapports, dossiers

romans, pièces de théâtre

présentation de résultats intermédiaires

9

corpus

règlementations, dossiers techniques

collections, bibliothèques provées

projet

10

 

archives

bibliothèques générales

modèles de démonstration

11

 

grandes bases de données administratives

grandes bases de données littéraires

systèmes de production intégrés

On remarquera que la colonne de droite, qui s'efforce de rendre compte de concepts liés au travail de conception, ne manifeste pas une progression structurale aussi nette que les trois premières colonnes. C'est une indication supplémentaire de la multiplicité des facettes à prendre en compte dans le débat, facettes qui ne peuvent s'articuler naturellement que dans un cadre sémiotique étendu.

Une autre approche possible est celle que suggère l'organisation du système TAnal :

Le schéma ci-dessus insiste sur l'analyse lexicale. Celle-ci n'est qu'une composante parmi celles que suggère une analyse linguistique complète. Reprenant la tripartition traditionnelle : syntaxe, sémantiqe, pragmatique, on pourra reconnaître, dans de nombreux systèmes d'aide à la conception, l'accent mis sur tel ou tel volet spécifique (on remarquera que, dans chaque cas, l'étape d'analyse lexicale préliminaire est essentielle).

-        Les aspects syntaxiques dans le fonctionnement de la communication sont liés à l'articulation des textes de spécification et de description en éléments lexicaux et en éléments relationnels permettant de mettre à jour l'articulation du discours et d'en assurer la cohérence.

-        Les aspects sémantiques mettent en jeu des catégories qui relèvent de taxinomies spécifiques ou de thesauri spécialisés. Des concepts spécifiques de genre de mode, et d'autres attributs entrent alors en jeu.

-        Les aspects pragmatiques n'ont été pris en compte qu'assez récemment. Leur intégration dans une réflexion d'ensemble est liée à la rapide accoutumance des utilisateurs aux phénomènes d'interactivité.  

Faisons le point sur ces trois volets de la sémiotique :

-  Le rapide essor des activités que l'on rassemble aujourd'hui sous la rubrique "Industries du langage" s'est traduit par la mise au point de procédures puissantes et complexes, et sur la constitution de bases de données "textuelles" de grande envergure. Une grande diversité d'analyseurs syntaxiques est aujourd'hui disponible. De nombreuses "langues naturelles" sont ainsi traitées, en particulier l'anglais, le français, etc... Ils s'agit là de développements qui prolongent des efforts assez anciens, puisqu'ils répondent aux besoins qui s'affirmèrent, dès les années soixante, dans les domaines de la documentation et de la traduction automatique.

-  La maîtrise des aspects sémantiques suppose la mise en commun d'informations linguistiques multiples, ce qui suppose que soit possible :

l'extraction des aspects sémantiques dans l'identification des parties du discours et des attributs de benre, de nombre, dans les aspects du verbe et ses modalités, etc... Cela entrainera
l'identification des actants et donc des actions, de leurs conditions, de leurs circonstances
la spécification des relations d'appartenance, de dépendance, de causalité
l'identification des modes assertif, normatif, érotétique (questionnement), hypothétique

l'accès à des bases de connaissances convenablement préparées et validées :
thesauri (éventuellement multilingues)
énoncés normatifs : modes d'emploi,  réglementations, etc...

Le génie linguistique appliqué à la CAO présent des spécificités dans les deux premiers volets sémiotiques : on peut, dans certains cas, se satisfaire d'analyses syntaxiques simplifiées, qui mettent en jeu des techniques statistiques éprouvées comme celles issues du théorème de Bayes (c'est le cas de systèmes tels que SPIRIT - dû à Andreewsy et Fluhr - et CLARIT - dû à -  ).

-          Le volet pragmatique, au contraire, suggère une approche audacieuse, porteuse d'innovations, et ceci pour des raisons évidentes :

- contrairement à beaucoup d'autres utilisations du langage (et en particulier des utilisations littéraires), il est possible d'identifier les acteurs de l'échange linguistique (les locuteurs) : promoteur d'innovation qui identifie et décrit les nouveaux produits désirés, meta-concepteur (qui spécifie un système de CA0), concepteur proprement dit (qui utilise un tel système), expert qui fournit des connaissances et les tient à jour, agent assurant la mise en ouvre des produits élaborés, utilisateur du produit ainsi élaboré, etc...

- ces actants fonctionnent en interaction : agents humains ou artefacts technologiques, ils entretiennent un dialogue complexe comprenant des éléments de discours (énoncés, questions et réponses) qui comportent des décisions, c'est-à-dire des actes.

Cette dimension pragmatique, cette interpénétration de fragments de discours et d'actes de discours, cette présence effective, au cours même du dialogue d'une appréhension souvent déterminante des réalités de l'espace et du temps (souvent d'autres objets de la réalité extérieure) sont caractéristiques de l'activité de CAO. Elles font de cette activité - en plus de son rôle industriel évident - un lieu d'expériences essentiels pour les développements qui s'annoncent dans l'univers en gestation de l'hypermedia et du virtuel.

Les théories et les pratiques de la linguistique nous fournissent ainsi deux grilles d'analyse complémentaires, deux axes de référence où vont s'inscrire les phénomènes d'expression et de communication propres au domaine de la conception assistée :

                        - une dichotomie : syntagmatique / paradigmatique (ds/dp)

                        - une trichotomie : syntaxe / sémantique / pragmatique (ty/té/tp)

Une telle approche "pan-sémiotique", pour être effective, suppose un effort collectif progressant par approximations successives. Car nous nous trouvons dans un contexte épistémologique inédit : Galilée déclarait qu'il nous était possible de comprendre la nature comme on déchiffrerait un livre écrit dans une langue mathématique; mais notre propos n'est plus seulement de lire : nous voulons à notre tour écrire dans ce livre.

Nous devrons, dans ce travail nous limiter à des entités et des concepts familiers au CAO-iste, quitte à laisser la porte ouverte à des extensions ultérieures. Car les entités que notre analyse identifient, ainsi que le jeu des relations et de prédicats qu'elles satisfont manifestent une richesse considérable et pourront sans doute inspirer l'analyse sémiotique d'autres domaines. De tout ceci, nous ne pourrons évidemment présenter que des échantillons, mais la clé du succès réside dans le choix d'un découpage correct au sein des univers considérés, et dans un examen attentif des interfaces qui assurent la liaisons entre les parties.

Le chapitre suivant se propose de concrétiser les propos qui précèdent et de fixer (provisoirement) les idées en identifiant quelques concepts-clés qui pourraient servir de base à une analyse sémiotique des processus impliqués dans le travail de la CAO. Notre choix s'efforce de répondre à quatre objectifs :

- situer correctement les objets évoqués (dans le cadre de la double articulation (ds/dp) - (ty/té/tp) évoquée ci-dessus).

- identifier actants et actions de telle façon qu'ils puissent éventuellement désigner des objets informatiques (données et programmes).

- prendre en compte la composante dynamique des notions mises en jeu (à partir de leur présentation schématique, donc nécessairement statique).

- servir de banc d'essai à un système d'analyse cognitive plus générale, dans le cadre d'une recherche que nous poursuivons par ailleurs, recherche aux ambitions plus ouvertement épistémologiques sur La possibilité des mots et la lisibilité des mondes.

Pour avancer dans cette direction, nous nous inspirerons d'un schéma - une simple ébauche - où l'univers de la CAO s'inscrit dans un contexte plus général. La dénomination des rubriques n'y a aucune prétention normative : elle n'est là que pour suggérer !

 

Univers de référence (univers externe "réel")

 
 

Evénements de l'univers réel

 
 

Univers de la technologie

 
 

Evénements de l'univers technologique

 
     

Univers de la conception

Actants

Actions                                              Evénements

de la CAO

Locuteurs

        Ordonnateur

        Méta-concepteur

            Concepteur

            Expert

            Utilisateur final

Agents

            réels

            virtuels

Discours

               représentatif

               normatif

              impératif

Gestes

              déclenchemnt

              conduite

              interruption

Spécification

Dessin

Constitution

Réception

Mise en service

Documentation

Exploitation

Défaillance

Maintenance

Evaluation

     
     
     
     
 

Evénements d'un univers virtuel Ui

 
 

Univers virtuel Ui

 
 

Evénements d'un univers

virtuel Uj

 

Univers virtuel

Uj

Il est clair que les identificateurs figurant dans ce schéma évoquent des concepts qui appartiennent à des catégories hétérogènes. Certains se réfèrent à des hiérarchies "méréologiques" ou "ontologiques", d'autres impliquent une dynamique de relations entre actants (agents animés, humains ou non, et objets articulés, passifs ou actifs). Une appropriation correcte de ces concepts - donc leur exploitation efficace - passe évidemment par la formalisation.

 

Chapitre 3

La constitution sémiotique des activités de conception :

essai de formalisation

Le schéma précédent met en relief l'articulation d'un certain nombre d'entités qui se situent à des niveaux et en des lieux différents dans la grille sémiotique. De plus chacune d'elles évoque un champ thématique spécifique (composants, éléments, fonctionnalités) et n'assume son rôle exact qu'au travers d'arrangements diagonaux ou hybrides. Identifier ces thèmes, expliciter ces arrangements : c'est l'objectif d'une approche comme celle que nous préconisons. Bien entendu les dénominations utilisées ne sont là que pour fixer les idées. Elles devraient être complétée, voire modifiées et en tour cas  verront leur rôle précisé dans ce qui suit.

Pour cela nous adopterons tout d'abord une approche syntagmatique : nous présenterons les entités dans le cadre d'une grammaire de productions dans le style des BNF (Backus Normal Forms). Bien entendu nous utiliserons ces grammaires dans une acceptions étendue, puisque les objets "produits" ne sont pas uniquement des textes mais peuvent

- mettre en jeu des actants, agents humains ou objets technologiques

- ne pas se développer selon un procès linéaire, mais présenter au contraire un comportement dynamique complexe

Voici l'ébauche d'une telle grammaire :

Production (d'artefacts) <— Commande Conception Réalisation Réception Mise-en-service

Conception <— Compréhension-de-la-commande Elaboration-d'un-dessin Mise-à-l'essai Retouches
Présentation-du-projet Révision-du-projet Livraison

Les règles de production associées aux constituants "Réalisation", "Réception", etc... sont intéressantes mais nous nous limiterons ici à la "production". Nous pourrons écrire :

Compréhension-de-la-commande <— Saisie-de-l'énoncé Explicitation-des-concepts

Elaboration-d'un-dessin <— Choix-d'une-articulation-des-concepts Mise-en-place-des-contraintes

Mise-à-l'essai <— Activation-du-modèle Observation-des-comportements

Retouches <— Choix-d'une-articulation-des-concepts Mise-en-place-des-contraintes

Présentation-du-projet <— Rédaction-du-système-élaboré Présentation-des-comportements

Révision-du-projet <—  Choix-d'une-articulation-des-concepts Mise-en-place-des-contraintes

Livraison <— Rédaction-du-système-élaboré Présentation-des-comportements

Pour entrer dans le détail de ces règles de production il faut identifier des entités "terminales" ou semi-terminales. Mais du même coup nous devrons aller au-delà d'une analyse syntagmatique.

Pour mieux comprendre le rôle complémentaire du syntagmatique et du paradigmatique, nous voudrions détailler l'analyse d'un exemple qui permettra de préciser méthodes et concepts. Il s'agit des procédures de description des modes de défaillance d'un artefact technologique complexe (un navire, une fusée, un centre commercial, etc...). La grammaire de productions associée pourrait s'écrire ainsi :

[amde] <—  [defsys]  [diagfonc] [desmodef] avec

[amde]  =  analyses de modes de défaillance et de leurs effets
[defsys]  =  définition du système à analyser
[diagfonc]  =  diagramme fonctionnel du système à analyser
[desmodef] =  description des modes de défaillance potentiels

[defsys] <— [docdescr]*[specsys]*[dessys]*[repcomp]*[profmis]*[dovcenvir]*[rapfiab]*

avec
[docdescr]  =  documents descriptifs
[specsys]  =  spécifications
[dessys]  =  dessins
[repcomp]  =  répertoire de composants
[profmis]  =  profils de missions
[dovcenvir]  =  environnements
[rapfiab]  =  rapports de fiabilité

[diagfonc] <— [hierar]* avec les règles de récursivité

               [hierar]   <— [hierar]*

                  [hierar] <—   [constelem],

                  [constelem]  =  constituants élémentaires

Pousser plus loin l'analyse nous oblige effectivement à aborder l'aspect paradigmatique de notre présentation.

Celle-ci comportera donc un aspect "cladistique" (répartition des entités au sein de nomenclatures, selon des hiérarchies ce qui leur attribue automatiquement un premier jeu de relations), ainsi qu'un aspect "typologique" où l'on associe aux entités des attributs qui caractérisent leur nature fonctionnelle dans un univers de référence, réel ou virtuel, muni des caractérisations traditionneles de l'espace et du temps, mais aussi des conceptualisations particulières à l'univers CAO.

. Car le constituant [desmodef] relève d'une description plus complexe que les précédents (ceux-ci s'inscrivent classiquement dans une structure arborescente dont les feuilles contiennen les éléments de [constelem]). Cette complexité résulte de l'imbrication de deux aspects distincts des entités qui sont en jeu :

-- un aspect statique dont la mission essentielle est de désignation. Cette désignation peut comporter
-                l'attribution d'un nom à un composant ou à un événement
-                l'énonciation d'une référence à une entité
-                l'adresse (ou les coordonnées) d'une entité dans un diagramme ou dans une table

--  un aspect dynamique où le comportement des composants entre en jeu et permet ainsi d'introduire une nomenclature d'événements (ce qui rend manifeste le lien entre les volets syntaxique et sémantique de l'analyse)

Ces deux aspects se rejoignent en ce qu'ils mettent en valeur un même concept de base : celui de référentiel. Une défaillance est en effet celle d'un constituant ou d'un composant déterminé. Pour l'évoquer, on devra donc préciser

              une référence spatio-temporelle qui situe le constituant dans la structure géométrique et  physique du système qu'on analyse, mais qui spécifie aussi les intervalles temporels pour lesquels le fonctionnement du constituant a effectivement un sens

              un jeu de formes (courbes et schémas) et de formules (expressions algébriques ou analytiques relevant de la physique, de la chimie, de l'ingénierie) qui déterminent le comportement normal d'un constituant, situe ce comportement dans la chronologie intrinsèque du constituant - ou du  composant tout entier - et sert ainsi de référence dynamique.

                On peut alors expliciter par leurs attributs, statiques et fonctionnels des modes de défaillance                 spécifiques :
-  fonctionnement intempestif
-  non fonctionnement à un instant donné
- caractéristiques dégradées
- non arrêt à un instant donné                                etc...

Si l'on veut pousser plus loin le travail de formalisation, il faut donc dégager des concepts suffisemment élémentaires pour qu'on puisse leur appliquer un traitement formel tirant parti des outils traditionnels de la logique et de l'algèbre. C'est ainsi que l'analyse sémiotique de "l'univers des défaillances technologiques", on mettra en place un dispositif d'analyse des constituants  en introduisant le concept d'objet technique élémentaire (OTE). On observera que le formalisme ainsi ébauché pourrait s'appliquer sans grands changements à bien d'autres domaines de la CAO.

Un OTE est un constituant ultime du système décrit - mais ultime pour un niveau d'analyse donné ! Des effets de "zoom" peuvent être prévus afin qu'un tel "relativisme puisse être pris en compte. Quel que soit le niveau de description auquel on se situe, la description -ou la spécification - d''un OTE comporte la spécification d'un référentiel au sein duquel il se situe, ainsi que celle d'une dynamique génératrice des trajectoires qu'il peut suivre dans ce référentiel.

-              Le référentiel possède les caractéristiques d'un espace de phase généralisé : sa structure topologique intègre l'organisation dimensionnelle de l'espace physique usuel, mais prend aussi en compte les grandeurs physique, chimiques, les contraintes architecturales et autres qui lui sont  pertinentes. L'état de l'OTE, à un moment déterminé, peut être associé à un point (ou à un hyper-    volume élémentaire) de l'espace de phase. L'OTE participe comme actant aux évolutions du  système dont il fait partie, événements-système (ES) au cours desquels il décrit une trajectoire dans le référentiel.
-              La dynamique commande le développement des trajectoires, contrainte par des lois générales ou   spécifiques, mais aussi par l'interaction avec les autres OTE appartenant au même système. La participation d'un OTE à un ES particulier, c'est la constitution d'un hyper-tube d'univers dans le référentiel qui lui correspond, hyper-tube dont la forme est déterminée par des contraintes  analytiques, algébriques ou logiques.

Les grammaires de constituants évoquées ci-dessus doivent maintenant être réévaluées car elles ne génèrent pas seulement des textes au déroulement linéaire, mais des événements imbriqués ou parallèles et la spécification des règles de réécriture met nécéssairement en jeu des prédicats et des relations hybrides, du point de vue de l'espace, du temps et de la causalité.

Pour en donner une idée, nous complèterons la description (sommaire) de l'univers des OTE en évoquant quelques prédicats et relations caractéristiques.

Bien entendu des relations plus complexes pourraient être utiles au travail de formalisation, qui mettent en jeu plus de deux constituants, objets ou événements :

        La représentation formalisée d'événements et de processus présente une difficulté particulière car elle est contradictoire avec le statut "figé" d'une expression symbolique. Il existe des indications qu'une approche nouvelle du problème est à l'horizon.

En attendant il faudra se servir de divers outils que nous proposent les logiques du temps et de la modalité. On utilisera ainsi

              Avec des conventions comme celles qui précèdent, il deviendra possible d'exprimer de façon symbolique - donc concise -  les propriétés et le fonctionnement d'artefacts complexes. A titre d'exemple, nous évoquerons le problème - mentionné plus haut - des dysfonctionnements ou défaillances des artefacts en exprimant des concepts tels que         

   

En complétant les éléments de logique modale présentés plus haut - par exemple en ajoutant des modalités déontiques aux modalités épistémiques et temporelles - puis en combinant les symboles ainsi introduits avec les outils traditionneles de la logique mathématique : connecteurs &, , , =, ; quantificateurs , , etc..., on  pourra représenter correctement des artefacts complexes, leurs comportement normaux ou dégradés, exprimer les contraintes physiques ou réglementaires qu'ils doivent satisfaire. On n'oubliera pas que l'objectif recherché n'est pas celui d'une formalisation gratuite. Le rôle des symboles, ici, est essentiellement heuristique : ils doivent servir d'intermédiaires entre l'énoncé "vernaculaire" du cahier des charges ou du mode d'emploi et leur mise en ouvre de tels textes impératifs ou normatifs au sein de systèmes comportant des automates - informatiques ou autres.

On pourra ainsi achever la spécification des règles de grammaire - tant syntaxiques que sémantiques et compléter le travail qu'elles effectuent de traduction de textes écrits (ou prononcés) en langage naturel - traduction vers une représentation formelle, diagram-matique - par l'activation de procédures de validation de ces textes : vérification de la cohérence des assemblages, du respect des fonctionnalités attendues, de la conformité avec les spécifications énoncées et les règlementations en vigueur, etc...

Lorsqu'on examine les thesauri constituant les bases de connaissances technologiques, on est frappé par l'hétérogénéité des concepts qu'elles rassemblent. C'est ainsi que Whitefield nous propose la liste suivante :

generative material;
parts arrangement;
casing parts;
fixings;
wiring connections;
unspecified part details;
support;
size;
assembly;
space;
utilization;
appearence;
cost;
moulding;
production;
maintenance;
safety;
environmental hazards;

Il serait intéressant de procéder à un essai de typification de ces concepts qui correspondent à des objets ou familles d'objets (generative material), des événements (production), des prédicats d'adicités diverses (size, assembly) des relations (parts arrangement), des propriétés (safety) et des complexes de tels concepts (environmental hazards).

On remarquera que les nouvelles méthodologies de l'informatique (programmation "fonctionnelle", "orientée objets") est bien adaptée à la prise en compte et à la mani-pulation d'entités qui se situent à divers niveaux de la hiérarchie des types (variables de base, fonctions, fonctionnelles, etc...) et combinent les comportements d'objets statiques et d'objets dynamiques.

Cette constatation est d'ailleurs à l'origine de la réflexion qui est présentée ici.

 

Chapitre 4

Une nouvelle conception de la conception

Les chapitres qui précèdent ont présenté une sorte de raccourci "phylogénétique" des Arts et Métiers de la conception. Partant d'un constat : la multiplicité des points de vue, donc des méthodes et techniques, qu'il faut mettre à l'ouvre pour créer un artefact, nous avons attiré l'attention sur la composante sémiotique de la création. Nous avons alors distingué l'élément "naturel" de cette composante - qui est à la fois la plus évidente et la mieux cachée - et l'élément "artificiel", ou "formel", plus facile à identifier mais aussi plus arbitraire dans ses spécifications et à propos duquel discussions et contestations se développeront aisément. Aussi le modèle proposé n'est-il là que pour servir d'exemple et suggérer modifications, corrections et extensions éventuelles.

En ce qui concerne l'accent mis sur l'efficacité d'une approche linguistique, on notera que dans plusieurs domaines susceptible d'exploiter les techniques de la CAO, certains auteurs se placent désormais nettement dans cette perspective. C'est en particulier le cas pour l'architecture, domaine particulièrement intéressant puisqu'il se situe au carrefour de techniques et d'activités artistiques.

C'est ainsi que dans Le paradigme de l'architecture, Pierre Boudon s'ibnscrit délibérément dans une perspective que le préfacier (Philippe Hamon) qualifie de "poiéticienne". Son travail se situe essentiellement dans le cadre "paradigmatique", utilisant un concept de base qu'il baptise templum.

Le templum est symboliquement un lieu de partage entre des dimensions différenciées sur la base d'une correspondance globale; un templum est un problème ou une partie de problème que l'on peut agencer avec d'autres, cette composition de templa relevant d'une "grammaire" catégorielle dont nous évoquerons à peine les contours, notre objet étant plus précisément ici une description de chacun de ces problèmes ou sous-problèmes.

On reconnait, dans ces lignes une orientation voisine de celle qui a été esquissée dans le chapitre précédent, en particulier dans l'évocation d'une "grammaire catégorielle". Les artefacts appartiennent ici au domaine de l'architecture et non plus à celui de l'ingénierie. la concordance des approches justifie bien l'hypothèse d'une problématique commune aux différent domaines de la conception.assistée.

Pour dessiner une grammaire catégorielle, il faut énumérer des "concepts de base", en préciser la "typologie", proposer des "règles de réécriture", etc... Bref, il faut disposer d'un métalangage qui combinera la généralité de l'approche analytique retenue aux spécificité du domaine aprticulier auquel on s'intéresse.

Boudon construit son méta-langage sous la forme de schémas de méta-termes formés de trois "corrélats initiaux" et de trois "corrélats inverses". Il justifie son modèle par une discussion du modèle de Greimas (basé sur la binarité) et de celui de Blanché (basé sur des triades à la Pierce). Voici deux exemples qui illustrent, selon l'auteur, la technique de croisement de templa en vue de l'analyse d'un champ notionnel. Le texte comprend  schémas de ce genre, qui s'articuelent en tableaux récapitulatifs :

Ces schémas s'articulent avec d'autres dans le tableau récapitulatif ci-après :

Textes "naturels" et textes "formels" constituent des objets "macroscopiques" obtenus par combinaison d'entités plus élémentaires : lettres, symboles, mots, expressions, formules, etc..., mais la combinatoire qui se manifeste ici demeure limitée à l'analyse lexicale, voire à des rudiments d'analyse syntaxique. L'intégration effective de composants informationnels disparates dans un flot de communication implique une capacité de conversion ou de traduction "en profondeur" des textes les uns dans les autres. Si l'on se propose de travailler sur le long terme, donc d'aller plus loin que l'élaboration de modèles "ad hoc" comme celui proposé au chapitre précédent, on sera conduit à examiner la possibilité d'identifier des concepts opératoires qui déboucheraient sur la mise en évidence de constituants ultimes de la signification.

On retrouve là une préoccupation ancienne qui était déjà celle de Leibniz et qui attire périodiquement l'attention des logiciens comme des linguistes. Parmi les obstacles qui ont entravé des démarches de ce type on doit évidemment noter ceux qui s'inscrivent dans la problématique d'une maîtrise de la complexité. Reconstruire ces objets "de haut niveau" que sont les mots ou les expressions d'une langue naturelle à partir  de constituants élémentaires et surtout valider les constructions proposées exige une grande capacité de manipulation combinatoire. Avec la mise en service des nouvelles technologies du traitement de l'information et leur développement rapide, certains des obstacles qui se dressaient devant les analystes peuvent être levés.

Depuis la fin des années 70, les recherches se sont en effet multipliées dans le domaine de l'identification de primitives sémantiques. Sous l'impulsion, notamment, des théoriciens de la robotique, désireux de spécifier les conditions d'un dialogue entre l'homme et la machine, en vue d'une interaction efficace, de chercheurs comme Schank et Wilks ont proposé des systèmes (d'un petit nombre) de primitives. Ces systèmes ont été repris et exploités par d'autres auteurs et notamment Sowa. De leur côté les linguistes, ayant appris à maîtriser les aspects purement syntaxiques de l'analyse se sont attachés davantage aux problèmes de la sémantique et ont proposé pour cela des primitives plus "fines". C'est le cas de Melcuk et de Wierzbicka.

Mais des réductions de ce type, s'ils permettent des avancées notables dans le domaine de la liguistique computationnelle, ne se prêtent guère au mariage "langage naturel"/"langage formel", mariage que suggère fortement les analyses esquissées plus haut des constituants d'un dossier de conception. On peut alors penser qu'un pas supplémentaire doit être franchi vers l'analyse de couches plus profondes et de constituants plus élémentaires de la signification et de la communication.

De telles analyses ont été poursuivies dans le cadre de recherches où logique et linguistique sont simultanément parties prenantes. Silvio Ceccato et, avant lui, Viggo Brøndal ont ouvert des chemins dans cette direction, chemins qu'il serait indiqué de reprendre et de prolonger aujourd'hui. Il est fascinant de constater que l'on retrouve alors des problèmes - et des solutions - que des logiciens comme Brouwer, Chwistek ou Curry ont abordées.

La deuxième partie de ce recueil est consacrée à une mise au point relative à ces problèmes de primitives sémantiques.

Les objets "macroscopiques" auxquels des combinaisons complexes de primitives font référence recouvrent les domaines les plus divers et s'inscrivent dans des thématiques aux multiples variations. Dans le champ particulier de la conception technologique (et artistique) deux thèmes jouent un rôle essentiel : ce sont les thèmes de l'espace et du temps : les objets de la conception, les artefacts imaginés et produits s'inscrivent dans des frontières, occupent des volumes se voient attribuer des espaces; les événements au sein desquels ces objets existent, se manifestent, fonctionnent, témoignent d'une dynamique, occupent une durée.

Les premières réalisations de la CAO ont été caractérisées par l'usage qu'elles faisaient des capacités nouvelles des systèmes informatique dans le domaine de la manipulation des images, d'abord statiques et, plus récemment, animées. l'étape suivante - en cours - s'attaque à l'amélioration du dialogue homme/machine dans ce domaine . Il passe évidemment par une meilleure appréhension de la représentation des effets d'espace et de temps dans le alngage naturel.

La troisième partie de ce recueil présente le résultat de travaux récents dans ce domaine et offre quelques perspectives d'avenir.

Mais la communication entre les domaines du savoir linguistique et ceux de la recherche en conception assistée n'est pas à sens unique. Les concepts et les méthodes qui se développent dans ce cadre nouveau : animation, simulation, interaction, etc... ainsi que l'effet de réflexivité qui s'introduit au sein de la dualité entité/modèle de cette entité, tout cela ouvre des perspectives d'élargissement - peut-être même de bouleversement - dans le processus même de la représentation et de l'expression, y compris de l'expression formelle, mathématique. Des propositions ont été faites dans ce sens, sous diverses dénominations : Transformalisme, Dynasémie, Idéographie dynamique.

La quatrième partie de ce recueil est consacrée à ce faisceau d'approches nouvelles dont le champ d'applications s'étend bien au-delà de la CAO.

 

Le langage / Intelligence et artifices

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Paul Braffort © 2002
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